L’ACCREDITATION ET LA CERTIFICATION MEDICALE - Vers une démarche qualité en Tunisie

INTRODUCTION

Notre médecine tunisienne est bien reconnue sur le plan national et international et la formation dans nos facultés de médecine est considérée de bonne qualité comme en témoigne le nombre grandissant des départs à l’étranger des jeunes et moins jeunes médecins, mais il est vrai aussi que des problèmes en rapport avec la qualité des soins médicaux sont constatées sur le terrain. 

L’absence de processus de surveillance/évaluation/remise en question/amélioration des aptitudes des médecins à l’exercice hypothèque à court terme une qualité de soins jamais réellement évaluée ou réévaluée. Dès l’obtention de son diplôme, le jeune étudiant devient médecin, À VIE, apte à exercer, sauf circonstances exceptionnelles, livré à sa seule conscience professionnelle pour se mettre régulièrement à jour et à son seul sens critique pour juger lui-même de ses propres compétences et aptitudes. 

Mais le développement rapide des connaissances et des compétences exigées des médecins dans les divers domaines fait qu’un système d’assurance qualité aussi bien pour la formation que pour les prestations des médecins devient incontournable. Le citoyen tunisien est en droit d’aspirer à être traité selon les données scientifiques les plus récentes et selon les techniques les plus modernes. 

La Tunisie ambitionne par ailleurs de devenir une destination privilégiée d’exportation de services de soins de santé, mais cet ambitieux projet ne peut se concrétiser qu’à travers des soins prodigués dans des structures de santé accréditées et par des médecins certifiés par une instance nationale, reconnue internationalement.

DEFINITION ET TERMINOLOGIE

L’accréditation, la certification, l’agrément, l’autorisation, le permis ou la licence d’exercer sont des termes qui reviennent régulièrement quand on parle qualité dans l’exercice de la médecine. Un accord sur leur signification est toutefois essentiel, tant leurs interprétations varient selon les pays et même des fois au sein d’une même institution.

Les définitions utilisées ici sont celles qui sont les plus communément admises de par le monde en matière d'exercice médical. D’autres significations dans d’autres contextes peuvent être retrouvées, notamment en industrie.

  • Accréditation : Processus au terme duquel un organisme gouvernemental ou non-gouvernemental, ou un autre organisme statutaire, accorde une reconnaissance officielle aux programmes de Formation Médicale Continue – Développement Professionnel Continu ou aux prestataires d’activités de FMC/DPC qui répondent à des critères de qualité préétablis et après leur confrontation à des standards internationalement reconnus. 
  • Certification : Processus au terme duquel un organisme gouvernemental ou non-gouvernemental ou un autre organisme statutaire, accorde au médecin, après qu’il a satisfait à des conditions prédéterminées, une reconnaissance des qualifications spécifiques à son exercice. Le maintien de la certification peut se faire à travers des procédures déterminées (examens, preuves d’accomplissement d’activités de FMC-DPC etc.) par une structure compétente, généralement des Boards de spécialité. On certifie donc les médecins.
  • Autorisation d’exercer : Processus au terme duquel une autorité reconnue généralement gouvernementale et parfois non-gouvernementale, octroie une autorisation d’exercer à un médecin qui répond aux critères de qualifications exigées pour pratiquer son art. C'est dans la plupart des pays l'Ordre des Médecins ou les institutions similaires qui en ont ces prérogatives.

ETAT DES LIEUX

En Tunisie, les procédures d’exercice de la médecine sont schématisées comme suit:

  • Octroi d’autorisations d’exercer par l'Ordre ou le Ministre de la Santé, très rarement suspendues, le plus souvent par mesure disciplinaire pour faute déontologique ou administrative. 
  • Ces autorisations sont données selon une sorte d'agrément qui n'est pas défini comme tel et lequel n'est qu’exceptionnellement retiré.

En réalité, aucune procédure de certification des médecins n’existe et aucune procédure d’accréditation de leur formation continue n’est mise en place. Pourtant, l’assise réglementaire existe à travers la loi relative à l’exercice et à l’organisation des professions de médecins et à travers le code de déontologie médicale. L’Ordre des Médecins se devait de jouer pleinement son rôle en tant qu’institution indépendante régulatrice de l’exercice de la médecine en Tunisie. D’ailleurs, plusieurs journées ordinales ont été consacrées à ce sujet et ont balisé le chemin et voilà qu’en 2018, on a assisté à la création de la Commission d’Accréditation et de Certification Médicale (CACEM) qui aura les missions de l'accréditation du DPC et de la certification des médecins.

MISSION DE LA CACEM

1- Accréditation du DPC

Cette accréditation sera du ressort de la CACEM régionale. Il y en aura une par Conseil Régional de l'Ordre des Médecins. Elle pourra comprendre, outre des membres du CROM, des représentants académiques et des représentants de l'Instance Nationale d’Accréditation en Santé (INEAS).

Les critères de qualité auxquels seront soumises les activités de DPC candidates à une accréditation ont déjà été travaillés et définis par l’INEAS qui, rappelons-le, est une instance d'accréditation des structures de soins et de préparation des guidelines et qui peut fixer les crédits attribuables selon l'activité. Une expérience pilote conduite au CROM de Sousse a permis d'en tester la faisabilité et d'en améliorer la procédure.

Il est important de souligner que l’accréditation doit demeurer volontaire. La garantie de l’adhésion des prestataires de FMC/DPC à ce processus reposera sur la crédibilité et l'indépendance de la CACEMet sur la reconnaissance mutuelle des crédits avec des accréditeurs internationaux et les retombées positives de la participation des médecins à des activités accréditées, notamment pour les candidats à la Certification.

2- Certification des Médecins : Les Boards de Spécialité 

Le concept de Boards de spécialité est étranger à la culture médicale francophone mais dans quasiment le reste du monde, ce sont ces structures qui certifient les médecins et qui garantissent ainsi la qualité des soins prodigués aux citoyens.

Devant la difficulté de créer une ONG qui chapeauterait une telle structure en Tunisie, la solution Ordinale s'est présentée tout naturellement. C'est ainsi que la CACEM nationale créera en son sein des Boards de spécialités qui seront composés essentiellement des sociétés savantes, collèges de spécialités et départements de spécialité des facultés de médecine.

Chaque Board aura à établir et à maintenir des normes de qualité dans la pratique de la spécialité concernée et surtout évaluer régulièrement l'aptitude des médecins à exercer leur spécialité. 

L'entrée dans le Board se fera sur un examen, qui devra nécessairement être reconnu au niveau international par notre partenaire, l'UEMS qui donnera droit, si succès, à une certification.

Le maintien de la certification se fera selon les critères définis par chaque Board: nombre de crédits de DPC (ce qui sous-entend une activité de FMC/DPC accréditée), d'actes effectués etc. Ceci veut dire aussi que la certification peut être perdue, nécessitant une recertification à travers un nouvel examen.

Tout comme l'accréditation, la certification devra être volontaire et certainement pas obligatoire. En effet, la rendre obligatoire la rendrait synonyme d'une autorisation d'exercer, lui ferait perdre sa raison d'être qui est la recherche de l'excellence, nivelant par le bas la qualité et, corollaire automatique, nous ferait perdre la reconnaissance internationale. 

RECONNAISSANCE INTERNATIONALE

Tout comme l'accréditation des structures de santé ou celle de l’enseignement de la médecine, l'accréditation des activités de DPC n'aura d'impact que si elle est reconnue par les autres accréditeurs du DPC. La CACEM a entamé la procédure de reconnaissance mutuelle des crédits avec l'EACCME, organe accréditeur de l'UEMS qui elle même, a déjà contracté des accords de reconnaissance mutuelle avec l'American Medical Association et le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada. 

L'adhésion du CNOM à l'UEMS en tant que membre observateur, représentant les médecins tunisiens, y contribuera certainement. Ainsi, une activité accréditée en Tunisie sera reconnue à l'international et vice versa.

En matière de certification, les Boards tunisiens auront eux aussi à collaborer étroitement avec le CESMA (Council for European Specialists Medical Assessment) pour l'organisation des examens d'entrée dans les boards et établir les critères de maintien de certification des différentes spécialités. 

Ainsi, un médecin certifié en Tunisie le sera pour les organismes internationaux

DATES IMPORTANTES

Le 21 octobre 2017, le Conseil National de l'Ordre des Médecins de Tunisie est accepté à l'unanimité comme membre observateur de l'Union Européenne des Médecins Spécialistes, l'organisation européenne qui accrédite le DPC des médecins par la European Accreditation Council for CME ou EACCME et les certifie à travers ses Boards.

  • Le 2 mars 2018, le CNOM décide la création de la Commission d’Accréditation et de Certification Médicale ou CACEM et fixe sa mission et sa composition.
  • Le 22 mars 2018, le projet est pour la première fois présenté lors des 35e JMC à la Faculté de Médecine de Sousse par le président du CNOM, Dr. Mounir Youssef Makni, son vice-président Dr. Foued Bouzaouache et le vice-président du CROM de Sousse, le Dr. Mehdi Jaidane (voir vidéo ci-dessous)
  • Le 15 janvier 2019 est signé à Bruxelles un protocole d’accord entre la CACEM-CNOM et l’EACCME-UEMS qui stipule que la CACEM accréditera les activités de DPC internationales qui se déroulent en Tunisie et qui demandent l’accréditation de l’EACME. Cet accord est un premier pas vers la reconnaissance mutuelle des crédits.

CONCLUSION

Avec la création de la CACEM, un pas vient d’être franchi et une accréditation des activités de DPC est désormais possible en Tunisie. La mise en place des Boards de spécialité va se faire progressivement dans les spécialités déjà engagées dans ce projet depuis plusieurs années et dont les sociétés savantes ont joué un rôle important dans le processus de mise en place de ce système.

Le signal de départ est donné et la voie est balisée pour la concrétisation de ce noble objectif dans des délais raisonnables.